"La difficulté de recrutement actuelle dans le secteur de l'informatique n'est pas liée à la pénurie de main d'oeuvre" . C'est le message que tente de faire passer le Munci, une association professionnelle créée en 2003 qui fédère, en France, près de 2500 membres salariés, indépendants et demandeurs d’emploi des professions INFORMATIQUE, WEB et TELECOMS ("métiers IT"), plus généralement des professions du NUMERIQUE.
Selon l’enquête BMO (pour Besoin en Main d'Oeuvre) réalisée en début d'année par Pôle-emploi , 62,3% des employeurs anticipent des difficultés de recrutement pour les postes d’Ingénieurs, cadres études et Recherche Développement en informatique. Le MUNCI dénonce la confusion trop fréquente entre "difficultés de recrutement" et "pénurie de main d’œuvre" en rappelant que les tensions dans l’informatique s’expliquent "autrement que par un prétendu manque de candidats formés à nos métiers et disponibles sur le marché du travail".
D’après l’enquête BMO, 68,5% des employeurs expliquent les difficultés de recrutement par un manque de candidats… 82,2% par l’inadéquation des profils des candidats, 37,8% par des difficultés liées aux conditions de travail et 23,5% par un déficit d'image (entreprise, secteur ou métier proposé). Dans l’informatique, il est clair que les difficultés de recrutement s’expliquent surtout par ces 3 dernières explications...
- Les difficultés de recrutement sont très variables dans le numérique en fonction de la spécialité ou du niveau de qualification puisqu’elles chutent à 34.3% pour les Ingénieurs et cadres des télécommunications et à 40,7% pour les Techniciens production et exploitation de systèmes d'information.
- Sur les 32 000 demandeurs d’emploi en informatique/télécoms (cat.ABC, sources Dares avril 2012), soit un taux de chômage dans la profession de 6% (ce qui ne correspond pas tout à fait à un marché de plein emploi), au moins 10 000 (soit environ 40% des inscrits CAT. A) rencontrent des difficultés d’insertion professionnelle avec une ancienneté moyenne au chômage d’environ 10 mois. 25% des demandeurs d’emploi de l’IT sont d’ailleurs des chômeurs de longue durée (27% sur l’ensemble du marché du travail, soit une proportion quasi-identique).
Des chiffres très contradictoires :
L’enquête BMO anticipe au total environ 51 000 recrutements dans l’informatique et les télécoms pour 2012, dont 35 000 cadres et ingénieurs. Cependant les créations d’emplois nettes sont très nettement inférieures… Selon les chiffres APEC (Panel Entreprises 2012) : 30 460 recrutements de cadres IT en 2011… pour seulement 2 780 nouveaux postes cadres, soit moins de 10% du volume de recrutements ! Chiffres Syntec numérique (conf. presse du 05.04.2012) : 40 000 recrutements (dont 30 000 cadres) en 2011... pour seulement 5 600 créations d'emplois nets, soit seulement 1 emploi créé pour 7 recrutements ! (à noter qu’on relève une disproportion encore plus forte entre les volumes de recrutements et d'offres d’emploi…) Le marché du travail informatique a ainsi deux spécificités : un niveau très élevé de recrutements bruts et un taux de turnover record chez les cadres !
Cette très forte fluidité de notre marché du travail va totalement à l’encontre de la «pénurie de candidats» comme explication plausible des difficultés de recrutement.
Etant donné le volume modéré des créations d’emplois dans le secteur (en moyenne 15 000 par an), il s’avère en réalité que les 15 000 à 20 000 nouveaux diplômés (filières STIC) arrivants chaque année sur le marché du travail sont suffisamment nombreux pour combler les besoins du marché. Bien que l’offre de formation initiale ne soit pas assez professionnalisante, les jeunes diplômés rencontrent beaucoup moins de difficultés d’insertion professionnelle que les seniors dans ces métiers et ce en raison du modèle économique du secteur basé sur le jeunisme…
Un fort turnover, lié autant à des démissions que des fins de contrats
Le turnover record dans l’informatique (15% en moyenne dans les SSII, le double du taux de turnover moyen sur l’ensemble du marché du travail) s’explique autant par les démissions (42% des fins de contrats) que par les départs forcés (licenciements, ruptures conventionnelles, fins de période d’essai… environ 35% des fins de contrats). Il dénote avant tout les difficultés de fidélisation des salariés en SSII et s’explique tant par l’opportunisme des informaticiens (nouveau poste plus gratifiant, meilleure rémunération, embauche par le client…) que par les problèmes souvent rencontrés dans nos sociétés : stagnation du salaire, évolution de carrière bloquée ou non désirée, problèmes de GRH et de management, conditions de travail difficiles, mobilité géographique excessive ou non désirée (conciliation difficile entre vie privée et vie professionnelle)…
Le Munci propose quelques explications :
Après avoir démenti la "pénurie d’informaticiens" et les "emplois non pourvus" dans notre secteur, il s’agit à présent de démystifier les fameuses “difficultés de recrutement” dans le secteur informatique et d’en expliquer les raisons. La 1ere raison est celle du manque d’attractivité des sociétés de service et de conseil (SSII/SICT) qui sont les principaux employeurs du secteur mais qui reçoivent moins de candidatures que les entreprises utilisatrices (industrie, bancassurance, télécoms… lesquelles ont la faveur des informaticiens dans leur grande majorité) en raison de leur mauvaise image et des contraintes de la prestation de service : modèle « d’intérim de luxe » sans valeur ajoutée, instabilité de l’emploi, salaires inférieurs, conditions de travail exigeantes (record de mal-être au travail)…etc
"Les conflits sociaux sont d’ailleurs fréquents dans les sociétés de l’informatique et des télécoms", insiste l'association, pour qui la 2ème raison est celle de la sélectivité des recrutements chez les employeurs d’informaticiens, à savoir la recherche de profils “SUR MESURE”. Le marché du travail en informatique est un marché de compétences avec des recrutements principalement sur mission en recherchant très souvent des "moutons à 5 pattes", ou au contraire des "spécialistes rares", dans le cadre d’appels d’offre clients aux timings souvent serrés… Mais au-delà de ça, tous les employeurs du numérique. Les recruteurs font fréquemment preuve d’une forte sélectivité et discrimination à l’embauche principalement sur les critères d’âge (c’est l’un des secteurs où le taux de seniors - qui s'entendent à partir de la quarantaine dans ces métiers ! - est le plus faible), de diplôme (75% des recrutements se font au niveau bac+5,) et d’ancienneté au chômage (les recruteurs n’aiment pas les demandeurs d’emploi généralement de plus de six mois, ils préfèrent mille fois débaucher les salariés déjà en poste…).
Selon une étude sur Les métiers de l’informatique (Pôle-emploi JL.Zanda), de décembre 2011, “L’examen sur longue période des données du marché du travail, ainsi que celui de la littérature disponible en la matière, montrent que de telles difficultés (de recrutement) sont aussi la rançon d’un mode de gestion de l’emploi très focalisé sur le court terme, et peu propice à répondre aux besoins lorsque ceux-ci s’accroissent (…)”
L’inadéquation des compétences entre l’offre et la demande.
Hélas, la plupart des sociétés du numérique (SSII en tête) n’investissent pas suffisamment sur la formation des chômeurs et des jeunes recrues (elles préfèrent débaucher des salariés en poste…).
Le Munci demande donc que l'effort soit "porté principalement sur la formation continue des demandeurs d’emploi avec un investissement prioritaire dans le numérique ainsi que sur la lutte contre les discriminations à l’embauche".
L'association dénonce aussi "la vision insidieuse de ceux qui interprètent un marché du travail équilibré - c’est à dire en situation de (quasi) plein-emploi - par un marché de pénurie qui doit être absolument corrigé".
G.R.
(redaction@lyonenfrance.com)
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