Tribune : Suicides au travail : et si on commençait par changer de langage ?


Selon Malcolm Duff, spécialiste du langage et PDG de la société de traduction HTT, "l'augmentation du taux de suicide chez les cadres d’âge moyen est due, entre autres, au jargon compétitif qui imprègne le monde du travail moderne". Si, à la place, l'on utilisait la terminologie maritime, le monde serait plus productif. 

"Nombreux sont les articles, provenant du monde entier, concernant la hausse croissante du taux de suicide chez les cadres. Le dernier en date nous vient du quotidien britannique The Guardian, publié en janvier 2013, qui indique que "le Bureau des Statistiques Nationales (ONS) a enregistré des hausses importantes du taux global de suicide au Royaume-Uni, notamment chez les hommes de 45 à 59 ans".(1) 
 Comme l'on pouvait s'y attendre, les derniers chiffres de l'OMS (2) indiquent que les pays au passé ou au présent communiste affichent les taux de suicide les plus élevés. En effet, selon un article (3) de l'AFP datant de septembre 2011, la Chine compte une tentative de suicide toutes les deux minutes, l'un des taux de suicide les plus élevés au monde. Cette tendance suicidaire pourrait se résumer par l'idée suivante: "sans travail, pas d'argent ; sans argent, pas de conjoint", comme une sensation de descente aux enfers. 
Mais le facteur commun est la dureté de la concurrence au travail. 
 Elle se reflète, tous pays confondus, dans la terminologie sportive qui imprègne chaque instant de notre vie. Nous sommes acteurs du marché du travail, affectés à des divisions avec des chefs d'équipe, des buts à atteindre, des uniformes, des drapeaux à porter, des indicateurs clés de performance, des indicateurs clés de succès, des stratégies et tactiques ; nous sommes entraînés et comparés, nous avons des clubs, des terrains de jeux, des pistes de réflexion, des promotions et relégations, perspectives et rebonds, formations et palmarès, sans cesse pour nous améliorer, toujours pour gagner, ou nous perdons tout. 
Si les pays communistes détiennent les pires statistiques en termes de suicide, c'est parce qu'ils offrent les perspectives les plus démoralisantes. En effet, la forme de concurrence la plus dure est celle où le fait de "gagner" repose moins sur le mérite personnel que sur les caprices d'une hiérarchie sans visage et sans nom. Car dans la vie, il n'y a pas de gagnants, ce n'est même pas un sport spectacle. Seules les fautes rythment le jeu, et la finale est la même pour tous. Cependant, la plupart d'entre nous n'en prenons conscience qu'à l'âge mûr, lorsque le plus gros de notre vie est derrière nous. 

Plutôt que d'utiliser un jargon sportif, qui exclut automatiquement ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas jouer, la terminologie maritime serait plus adaptée au monde du travail, car la vie est un voyage (une croisière pour certains), avec ses mers agitées et ses tempêtes, ses intempéries et ses calmes plats, ses crêtes et ses creux, et d’occasionnels havres de paix. La terminologie navale convient mieux aux manœuvres du marché que le jargon sportif et ne reflète aucun des aspects concurrentiels de ce dernier. Par ailleurs, elle prône des valeurs importantes telles que femmes et enfants d'abord, plutôt que le chacun pour soi. Et quel sport possède un concept comme celui du SOS?
Le personnel devrait être considéré comme un équipage, dont chaque membre connaît son rang, sa place et son devoir, ainsi que l'importance de son travail. Quant aux cadres, plutôt que de se plier aux diktats des actionnaires, de tuer leurs concurrents en prenant tout ce qu'ils peuvent tant qu’ils peuvent, ils pourraient agir de façon plus responsable, en se comportant comme des officiers, voire des capitaines de leur secteur d'activité. Ceux qui doutent de l'importance de la terminologie doivent savoir que notre monde n'est fait que de mots, et ce depuis ses débuts bibliques ("au commencement était le Verbe"). Nous ne faisons rien sans l'exprimer avec des mots, et rares sont les choses que nous connaissons sans pouvoir les exprimer. Nos mots ne reflètent pas le monde. Au contraire, les mots que nous employons créent le monde tel qu'il est.
 L'utilisation de la terminologie maritime au travail pourrait sauver des emplois, voire des vies, ne serait-ce que parce que cela nous aiderait à reconnaître que nous sommes tous dans le même bateau, à la dérive en quelque sorte, sur une planète qui navigue sur les ondes gravitationnelles d'un océan sans fin."  
Malcolm Duff  

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