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Face à Edouard Balladur, Queyranne demande "moins d'Etat"

La région Rhône Alpes accueillait ce jeudi 11 décembre Edouard BALLADUR, qui a été chargé par le Président de la République Nicolas Sarkozy de proposer une réforme des institutions régionales et locales.

Reçu à l'occasion de la Conférence des Exécutifs de la Région Rhône-Alpes, constituée des huit Présidents des Conseils généraux et des quatorze Présidents des plus grandes agglomérations de la Région, l'ancien Premier Ministre était surtout venu pour "écouter". Dans son introduction aux débats, le Président de la Région Jean Jacques Queyranne s'est livré à une défense des compétences des régions et a appelé l'Etat à réduire le nombre de ses administrations déconcentées. Nous vous livrons ici une grande partie de cette introduction :

(...) "Je ne peux souscrire à l’idée répandue, selon laquelle la France compterait trop d’élus locaux, par eux-mêmes prodigues dans la gestion des deniers publics. Ce discours aux résonances populistes nie le dévouement quotidien de ces élus qui portent de lourdes responsabilités, sans toujours disposer des moyens nécessaires pour y faire face.


"Les principaux doublons concernent d’abord les services de l’Etat".La critique du fameux « millefeuille » territorial doit à mon sens être éclairée par divers éléments. Au-delà du débat un peu convenu et souvent fantaisiste dans ses conclusions – la suppression d’un échelon territorial n’aboutirait pas à la disparition des charges des politiques publiques qu’il assure – certaines réalités méritent d’être rappelées.
Il faut d’abord souligner que les principaux doublons concernent d’abord les services de l’Etat. Ce dernier n’a pas tiré les conséquences des lois de décentralisation, la mise en oeuvre de la loi du 13 août 2004 en donne de nombreux exemples concrets. La démarche récente de la RGPP ne me paraît pas de nature à améliorer sensiblement les choses. Dégonfler les effectifs de l’Etat dans les domaines de compétences déjà transférés aux collectivités territoriales constituerait la première source d’économie significative. Elle répondrait aussi « au vague à l’âme » qu’éprouvent de nombreux fonctionnaires de l’Etat qui ne cernent plus le contenu de leurs missions.
Comment comprendre que l’Etat maintienne ses administrations déconcentrées dans des domaines qui ont été transférés aux collectivités ?


C’est pourquoi, il faut établir une règle claire : lorsqu’une compétence fait l’objet d’un transfert dans le cadre d’une loi de décentralisation, il ne doit plus conserver ses services déconcentrés. Là, nous verrons enfin le vrai « bing bang » culturel de l’Etat.


Seules les matières relevant de la compétence de l’Etat peuvent faire l’objet de contrat de projetAutre accusée traditionnelle – l’existence de la clause générale de compétence qui autoriserait chaque niveau d’administration locale à se mêler de tous les sujets, ajoutant ainsi à la complexité des responsabilités et à l’entremêlement des interventions. Là aussi, le procès est souvent un peu court et les exemples concrets d’abus manquent significativement. Ou plutôt, on les trouve là où on ne les attend pas. Ainsi, l’exemple le plus caractéristique d’intervention des collectivités territoriales à la limite de leurs compétences et sur le seul fondement de la clause générale, est sans doute le Contrat de projet. Par définition en effet, et le Gouvernement l’avait clairement rappelé en 2006, seules les matières relevant de la compétence de l’Etat pouvaient faire l’objet de ce contrat. Pourtant, nul n’a alors critiqué l’intervention financière des collectivités territoriales dans la construction d’infrastructures de transport, de bâtiments universitaires ou de centres de recherche.
Sur un plan strictement juridique, s’agissant de la Région, je ne crois pas que la suppression de la clause générale de compétences serait réellement de nature à entraver son champ d’intervention (...)
L’Etat donne le mauvais exemple en recherchant l’intervention des collectivités territoriales.
Il est aussi devenu habituel de mettre en cause la systématisation des cofinancements dans la conduite de nombreux projets. Ce n’est pas par plaisir que les collectivités territoriales se livrent à ce type de montage. L’honnêteté consiste ici à rappeler que c’est principalement l’insuffisance des ressources financières locales qui conduit à solliciter d’autres niveaux pour boucler les tours de table. Il faut aussi rappeler que l’Etat donne ici la plupart du temps le mauvais exemple en recherchant systématiquement dans ses investissements l’intervention de nombreuses collectivités territoriales, comme l’illustre parfaitement la construction des LGV (Lignes à Grande Vitesse -ndlr).


Le Président de la République en a convenu lors de la récente présentation des grands investissements du plan de relance. Je ne veux prendre que l’exemple du financement de la partie française du Lyon-Turin, de l’aéroport Saint-Exupéry à la Combe de Savoie. A deux reprises, le 19 mars 2002 puis le 19 mars 2007, les collectivités de Rhône-Alpes se sont engagées sur des montants précis. La décision est entre les mains de l’Etat. J’espère qu’elle deviendra effective.
A cet égard, il est amusant de constater que la mise en oeuvre de la proposition du rapport RICHARD préconisant que le maître d’ouvrage finance au moins 50 % de l’investissement conduirait dans la plupart des projets portés par l’Etat soit à une impossibilité de réalisation, soit au transfert de la maîtrise d’ouvrage et donc de la propriété à une collectivité territoriale.
Tous ces arguments ne constituent pas la défense corporatiste du statu quo. J’estime que l’insuffisante clarté des responsabilités locales contredit les principes mêmes de la décentralisation.


Quelles évolutions sont-elles possibles ? J’en avancerai trois :
1. Tout d’abord, je crois qu’il faut accepter de sortir d’une organisation politique et administrative uniforme pour l’ensemble des collectivités territoriales de notre pays. Le Ministre en charge de l’Outre Mer que j’ai été sais bien d’ailleurs combien la France a, de longue date, accepté d’aménager ses structures locales pour davantage prendre en compte certaines réalités territoriales. Sans même quitter la métropole, les spécificités d’Alsace, de Moselle ou de Corse montrent déjà sur la longue durée combien la République peut aussi se satisfaire de régimes différents, si ceux-ci sont justifiés et expliqués.
A ce titre, devons-nous avoir la même organisation institutionnelle selon que l’on soit en zone urbaine où en zone rurale ? Certains échelons s’imposent-ils dans tous les territoires ? Je suis certain que les participants à notre Conférence des Exécutifs exprimeront des idées et des propositions sur ces sujets.
2. Dans le même esprit, le droit à l’expérimentation doit être pleinement reconnu et mis en oeuvre. Celui-ci peut porter aussi bien sur les institutions, avec des regroupements qui pourraient être horizontaux ou verticaux, que sur les compétences, certains blocs étant constitués pour l’occasion au profit de tel ou tel niveau de collectivité. Cette démarche me paraît plus raisonnable et plus facile à mettre en oeuvre qu’un scénario de suppression autoritaire de tel ou tel niveau de collectivité dont chacun sait pertinemment qu’il n’a à peu près aucune chance d’être effectivement exécuté.
Cette démarche d’expérimentation doit reposer sur le volontariat des collectivités et surtout se donner le temps minimal de mise en oeuvre et d’évaluation avant une éventuelle décision d’extension. A ce titre, l’exemple de la régionalisation du TER peut être évoqué. La Région Rhône-Alpes a figuré parmi les Régions « expérimentales » en 1997 avant la généralisation à l’ensemble des Régions en 2002 (...)


Je prendrai aussi l’exemple de l’apprentissage : depuis 2005, date où la responsabilité nous a été transférée, nous avons fait passer le nombre d’apprentis de 32 000 à 43 000, en valorisant cette filière auprès des jeunes.
Sur la question des déplacements qui devient de plus en plus cruciale pour les agglomérations, j’ai proposé qu’au titre de la loi sur le Grenelle soit retenu le principe d’une expérimentation pour la création d’autorités métropolitaines de mobilité durable au niveau des bassins de vie. J’espère que le principe adopté par l’Assemblée Nationale en première lecture sera définitivement inscrit dans la loi.
3. Pour autant, j’estime qu’une clarification est devenue aujourd’hui indispensable ne serait-ce que dans un souci d’efficacité de l’action publique. En 2004, j’ai décidé que la Région n’interviendrait plus dans deux domaines qui relèvent de la responsabilité des départements : les routes (à l’expiration des engagements du Contrat de plan 2000-2006) et les maisons de retraite, et établissements pour personnes âgées. Le contexte de crise économique sévère queconnaît notre pays nous oblige à aller plus loin dans cette direction. Cette clarification passe par une reconnaissance de chefs de file clairement identifiés par domaine de compétences ou d’autorités organisatrices, l’intervention éventuelle des autres niveaux de collectivités pouvant être réglée de manière contractuelle. Le 5ème alinéa de l’article 72 de notre Constitution ouvre cette possibilité. A cet égard, et pour m’en tenir aux responsabilités dont j’ai la charge, je crois que la Région peut clairement revendiquer ce rôle de chef de file dans ce qui constitue le coeur de ces compétences :
• le développement économique, l’innovation et la recherche,
• la formation initiale et tout au long de la vie, l’emploi et
l’orientation,
• les transports régionaux
• le développement durable et l’environnement.


Au-delà de la clarification entre les différents niveaux de collectivités territoriales, il faut aussi s’interroger sur de nouveaux transferts de compétences de la part de l’Etat aux collectivités. J’ai l’absolue conviction que le contexte de crise économique plaide pour une nouvelle étape de la décentralisation, porteuse de nouveaux atouts pour favoriser une nouvelle croissance. On ne peut s’empêcher de penser que les écarts de performance enregistrés ces dernières années entre la France et ses principaux voisins européens tiennent aussi en grande partie à une organisation conférant plus de responsabilités à leurs pouvoirs locaux. Si l’ambition est aujourd’hui, comme l’ont déclaré plusieurs responsables gouvernementaux, de faire des Régions françaises des grandes entités européennes capables de tenir leur rang face aux défis de la mondialisation, le transfert de nouvelles compétences de la part de l’Etat s’impose.
Je pense notamment à l’économie où l’intervention de l’Etat dans le soutien aux entreprises est sans commune mesure avec ce qui se passe chez nos principaux voisins, à l’Enseignement supérieur ou encore à la gestion des fonds structurels européens. En abordant le sujet des compétences, je ne peux qu’établir le lien avec la question des finances locales. L’urgence est bien là (...) le mouvement de décentralisation initiée en 1982 s’est fait sur la base d’une fiscalité locale plus que centenaire, encore largement assise sur les « 4 vieilles ».
Les réformes successives qui ont notamment porté sur la taxe d’habitation et la taxe professionnelle n’ont en rien bouleversé ces fondamentaux, le double effet de ces ajustements ayant eu pour effet de faire de l’Etat le premier contribuable local et de réduire le pouvoir de décision des collectivités territoriales. Quant aux nouvelles ressources fiscales transférées, elles sont soit insuffisantes, soit inadaptées. Le meilleur exemple réside certainement dans le transfert aux Régions de la TIPP, recette qui doit normalement aller en diminuant si les politiques régionales de développement du TER sont couronnées de succès (...)


"La volonté de réforme du mode de scrutin provoque du soupçon"
Pour terminer cette introduction aux débats, je veux aborder la question des modes de scrutin. Il serait très dommageable aux travaux de votre commission, que la question de la décentralisation ne soit abordée que par ce prisme. Certains y poussent ouvertement, ce qui provoque automatiquement le soupçon. Vous savez que l’Association des Régions de France s’est
prononcée pour le maintien de l’échéance de 2010 et du mode de scrutin en vigueur.
J’ai connu, en tant que Conseiller régional, trois modes de désignation. Le premier en 1978 quand la Région n’était qu’un établissement public régional et son conseil composé outre des parlementaires, de délégués des Conseils généraux et des Conseils municipaux. La Région n’existait que sous la forme d’un « supermarché » où chacun venait faire ses courses pour sa collectivité. S’engager dans cette voie constituerait une double régression pour la démocratie et pour l’idée même de Région. Le second en 1998 avec une proportionnelle départementale intégrale qui n’a pas permis de dégager une majorité claire et conduit à dévoyer notre Région.
Le troisième en 2004, inspiré du scrutin municipal et qui a assis le fait régional, vis-à-vis des citoyens sur la base du principe le plus démocratique : « un projet, une majorité, un Président ».
Pourquoi changer cette règle du jeu ?
Je ne crois pas qu’il faille « emboîter » les scrutins départementaux et régionaux avec des constructions dont l’objectif serait de s’assurer une majorité dans chacune des instances. On sait que ce type de manoeuvre se retourne bien souvent contre ses instigateurs.
Dans notre Région, je crois que les huit départements ont leur propre légitimité tant par les politiques publiques qu’ils assument que par leur représentation territoriale. La Région, j’espère vous l’avoir montré, a la sienne.
Je crois aussi que la République doit savamment prendre en compte et doser chacune des deux légitimités qui la fonde – celle du mécanisme majoritaire qui permet la désignation claire de ceux qui accèdent aux responsabilités et celle de la représentation proportionnelle qui rend compte de manière plus équilibrée les opinions du corps électoral dans toute sa diversité. Toute solution qui ne respecterait pas en ce domaine une forme d’équilibre serait sans doute dangereuse pour notre démocratie".


Jean Jacques Queyranne est Président (PS) du Conseil Régional Rhône-Alpes.
Ancien maire de Bron, il a été Secrétaire d'Etat à l'Outre mer puis ministre de l'intérieur (en remplacement de Jean Pierre Chevènement) dans le gouvernement de Lionel Jospin.

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